« autrice »

Pourquoi ça fait un peu bizarre de dire écrivaine ou autrice ?

Extrait de l’émission de France Inter Les p’tits bateaux du 30 janvier 2022
https://www.franceinter.fr/emissions/les-p-tits-bateaux/les-p-tits-bateaux-du-dimanche-30-janvier-2022

Noëlle Bréham : Bonsoir, comment allez-vous ? Vous écoutez Les p’tits bateaux, l’émission où des enfants posent des questions et où des savants, et des savanTES leur répondent !

Une auditrice : Bonjour, je m’appelle Florine. Pourquoi ça fait un peu bizarre de dire écrivaine ou autrice ? Merci, au revoir.

Noëlle Bréham : Bonsoir Florine. Ça fait un peu bizarre de dire écrivaine ou autrice, c’est vrai. On n’est peut-être pas encore habitués. On va voir ce que vous allez lui répondre, Laélia Véron. Vous êtes écrivaine et autrice de Parler comme jamais, édité chez Le Robert. Vous êtes aussi maîtresse de conférences en stylistique et langue française à l’université d’Orléans. Qu’est-ce que vous pouvez lui dire à la petite Florine ?

Laélia Véron : Eh bien vous avez un peu donné la réponse, c’est une question d’habitude, tout simplement. Parce que, quand on n’a pas l’habitude de certains mots, de certaines sonorités, elles vont sembler étranges. Si vous prenez l’exemple d’autrice, c’est un mot qui existe depuis longtemps, qui vient du latin auctrix, qui se forme tout à fait régulièrement comme directeur/directrice, instituteur/institutrice, acteur/actrice. Ça ne nous fait pas bizarre d’entendre par exemple « Sara Forestier est une actrice française » alors que les sonorités sont très proches de celles d’autrice. Donc ce n’est pas vraiment une question d’esthétique phonétique, mais d’habitude ; le mot autrice a été en usage, puis il est quasiment sorti de l’usage, puis il est revenu, et voilà. Quand on est confronté à un mot nouveau, très souvent, on va avoir ce sentiment d’étrangeté, et s’il s’impose dans l’usage on s’y habitue. Je vous donne un exemple de mot qui a semblé étrange à ses débuts et que maintenant tout le monde trouve normal, le mot étudiante.

Noëlle Bréham : Ah bon, c’était étrange au début ?

Laélia Véron : Oui, on disait « C’est moche ce mot, il y a étudiant qui existe, pourquoi est-ce que vous voulez rajouter un autre mot ? » Exactement comme on dit pour auteur. Et souvent on va trouver un peu des prétextes de sonorités ou d’autres choses. Par exemple, pour le mot écrivaine, un académicien disait que le mot n’était pas joli parce qu’on entendait vaine, et on lui a fait remarquer que dans écrivain on entend aussi vain. Mais c’est simplement qu’il était habitué à écrivain et pas à écrivaine. Donc c’est très souvent des questions d’habitude.

Noëlle Bréham : Ça c’est génial et le coup d’étudiante, je ne savais pas. En fait c’est un peu triste et en même temps c’est une bonne nouvelle puisque ça a changé ; c’est qu’il n’y avait pas d’étudiantes, il n’y avait que des étudiants.

Laélia Véron : En fait c’est lié tout simplement à des changements sociaux. Quand il y a des changements sociaux, en l’occurrence pour des mots féminisés sur la place des femmes, ils vont très souvent s’accompagner de changements langagiers.

Noëlle Bréham : Alors écrivainécrivaine, moi j’aime beaucoup le mot vaine, je ne sais pas, ça ressemble à Verlaine, bon, j’aime cette sonorité. Mais en revanche, si on dit maîtremaîtresse, alors c’est comme autrefois les professeurs des écoles on les appelait maître et maîtresse ça marche, mais maîtresse ça peut être aussi une femme en double file, donc c’est un peu péjoratif.

Laélia Véron : Oui mais très souvent les mots féminisés avaient ou ont cette connotation sexuelle, pour le dire clairement, comme maîtresse, « la maîtresse d’un homme marié », ou comme entraîneuse. Et par rapport à ça, on a deux réactions : soit on choisit de ne pas adopter ces mots parce qu’on a peur d’être un peu salie par cette connotation ; soit on choisit au contraire de les adopter pour les faire entrer dans l’usage avec d’autres dénotations et connotations, en espérant ringardiser un petit peu cette connotation sexuelle. C’est encore un choix.

Noëlle Bréham : Ça, c’est intéressant en fait !

Laélia Véron : Mais oui, c’est tout à fait intéressant !

Noëlle Bréham : C’est vrai, c’est l’usage qu’on fait d’un mot qui peut finalement en changer la définition.

Laélia Véron : Mais tout à fait, les connotations vont évoluer aussi avec l’usage : les dénotations, donc la définition stable, et des connotations, ces sortes de projections qui vont accompagner la dénotation.